NEWS-JURITECH – N°05 – 31 MARS 2025 – ©DROIT-NUMÉRIQUE.CD

Mise en place d’un système intégré de gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires au profit des juridictions de commerce : une avancée majeure pour la modernisation de la justice en RDC

Blaise Loleka Ramazani

Membre du conseil d’administration de Droit-Numérique.cd
Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete
Assistant à la Faculté de Droit de l’Université Pédagogique Nationale (UPN)
Apprenant en DEA à l’Université Catholique du Congo

Ashley Diangienda Mvete

Membre du conseil d’administration de Droit-Numérique.cd
Avocate au Barreau de Kinshasa/Matete

RÉSUMÉ

En date du 25 mars 2025, la Première Ministre a pris le Décret n° 25/12 du 24 mars 2025 portant mise en place d’une gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires au profit des juridictions de commerce. Ce décret marque une étape significative dans la modernisation du système judiciaire congolais, en introduisant une gestion informatisée et numérisée des procédures au sein des juridictions de commerce. La présente analyse examine les implications, les avancées et les défis de mise en œuvre de cette réforme, en la situant dans le contexte plus large des transformations numériques des systèmes judiciaires standardisés.

Introduction

La numérisation des procédures judiciaires des juridictions commerciales est fondamentale. Elle vise à améliorer l’efficacité, la transparence et l’accès à la justice. Bien avant la signature du Décret n° 25/12 du 24 mars 2025, préc., le Conseil supérieure de la Magistrature avait déjà annoncé, par Décision n°105/J/D7/PM/2024 du 28 août 2024 portant utilisation des outils numériques et matériels informatiques au sein des juridictions et offices des parquets civils et militaires en RDC, le déploiement de deux outils numériques, d’une part le logiciel SIGAJ (Système d’information de Gestion des Activités judiciaires) et d’autre part le logiciel SIGM (Système d’information de Gestion des Magistrats).[1] Le premier concerne la gestion des activités judiciaires tandis que le second la gestion de carrière des magistrats sur toute l’étendue du territoire national.

Dans cette logique, le décret n°25/12 sous examen s’inscrit dans cette dynamique en ciblant les juridictions de commerce en RD Congo. Ce texte vient mettre en application la loi n° 23/061 du 10 décembre 2023 modifiant et complétant la loi n° 002/2001 du 03 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement des Tribunaux de Commerce[2], qui en son article 44 bis, prévoit la mise en place par décret, d’une gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires[3], au profit des juridictions de commerce, des auxiliaires de justice et autres intervenants.

Le décret s’appuie également sur un cadre juridique existant en la matière, notamment l’ordonnance-loi n°23/010 du 13 mars 2023 portant Code du numérique[4] pour encadrer cette transition numérique du système judiciaire congolais. Il contient plusieurs innovations (1) mais dont leur mise œuvre se heurte à des défis d’ordre opérationnel (2).

  1. Les innovations du Décret n° 25/12 du 24 mars 2025 portant mise en place d’une gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires au profit des juridictions de commerce.

    1.1. La mise en place d’un système intégré de gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires

Le décret n° 25/12 du 24 mars 2025 prévoit la mise en place d’un système intégré de gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires couvrant l’ensemble du processus judiciaire, depuis l’ouverture des dossiers jusqu’à leur archivage. Ce système est constitué d’un ensemble d’outils et d’applications permettant la gestion dématérialisée des dossiers judiciaires de l’ouverture à la clôture.[5] Les fonctionnalités de ce système incluent : 

  • la dématérialisation du processus de gestion des dossiers judiciaires ;
  • la communication informatisée et numérisée des actes de procédures (exploits de justice, ordonnances, communication des pièces et des conclusions, des notifications, des significations, etc,) ;
  • l’attribution automatisée et aléatoire des dossiers aux juges et/ou chambres, basée sur des critères objectifs (charge de travail, spécialisation, etc.).
  • l’utilisation des outils numériques dans le suivi des dossiers et la gestion des audiences et des délais ;
  • un accès sécurisé pour les parties prenantes à l’interface en ligne relative à l’information de leurs dossiers ;
  • le paiement de frais de justice et la publication des décisions en ligne et l’archivage des dossiers.[6]

1.2. La création de la CPSE : une sorte de mécanisme de suivi

Le Décret n° 25/12 du 24 mars 2025 crée la Cellule Permanente de Suivi et Évaluation (CPSE en sigle) de la mise en œuvre de la gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires au profit des juridictions de commerce.[7] La création de cette Cellule est importante d’autant qu’elle permettra d’assurer la pérennité du système. Son rôle sera crucial pour identifier les lacunes et proposer des ajustements nécessaires.

Les modalités d’organisation et de fonctionnement de la CPSE seront fixées par arrêté du Ministre ayant la justice dans ses attributions.[8]

1.3. La garantie de sécurité, d’intégrité et de confidentialité des données

L’article 3 du décret sous examen pose le principe fondamental de la protection des données au sein du système intégré de gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires. Cette protection s’articule autour de trois piliers essentiels, à savoir : la sécurité, l’intégrité et la confidentialité des données.

La sécurité vise la protection du système et des données contre les cyberattaques, l’accès non autorisé, voire les pannes techniques. L’intégrité assure que les données ne soient pas altérées ou supprimées de la manière frauduleuse. La confidentialité renvoie à la restriction de l’accès aux seules personnes habilitées (juges, greffiers, parties concernées, etc.).

2. Les défis de mise en œuvre du système de gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires au profit des juridictions de commerce

Si la mise en place du système de gestion informatisée et numérisée constitue une étape significative dans le processus de digitalisation de l’appareil judiciaire congolais, il n’en reste pas moins que son opérationnalisation présente des défis majeurs qu’il convient d’analyser sous un angle technico-infrastructurel, humain, financier et social.  

2.1. Les défis techniques et infrastructurels 

Le décret n° 25/12 du 24 mars 2025 appréhende certains défis techniques et infrastructurels qui doivent être pris en compte dans le cadre de la transformation digitale du secteur judiciaire. Il s’agit notamment de l’hébergement des données sur le territoire national, de la sécurité des systèmes informatiques ainsi que de la protection des données.

Cependant, sur le plan pratique, l’on soulignera l’absence d’un data center souverain opéré par le Gouvernement sur le territoire national ainsi que les faibles taux de pénétration internet et de couverture électrique à travers l’ensemble du pays comme principales difficultés de mise en œuvre de la gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires. À cela s’ajoute le déficit d’équipements de base (ordinateur, imprimante, tablettes, connectivité internet) au sein même des juridictions de commerce.

2.2. Les défis humains

Toute transformation technologique s’accompagne d’une transformation culturelle. La gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires implique des nouveaux usages et pratiques judiciaires. Les acteurs de la Justice devront faire face à des techniques nouvelles, se les approprier et les adopter au quotidien.

La prise de mesures d’accompagnement efficaces des utilisateurs (personnel judiciaire et avocats) et l’organisation de formations adaptées à l’utilisation des outils et applications numériques représentent des enjeux cruciaux pour la réussite de cette réforme.[9]  

2.3. Les défis financiers

La dotation en équipements informatiques, la formation du personnel judiciaire, la connectivité, l’électricité, la sécurité et la maintenance du système dans l’ensemble des juridictions de commerce, à ce jour effectivement installées, vont occasionner des coûts financiers considérables.

Des allocations budgétaires conséquentes doivent être allouées au projet afin de garantir sa viabilité.

À ce jour, le Ministère de la Justice et garde des sceaux n’a communiqué aucune information concernant le budget global de mise en œuvre du système de gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires au profit des juridictions de commerce ni son mode de financement.

2.4. Les défis sociaux

Dans le contexte de la République Démocratique du Congo, marqué par la fracture numérique l’illectronisme, la dématérialisation de l’accès à la justice pose un problème, dans la mesure où elle engendre des “conditionnalités d’accès”[10] qui privent les justiciables de la jouissance de leurs droits fondamentaux garantis, notamment l’accès équitable à la justice.

S’agissant spécifiquement de la dématérialisation des procédures devant les juridictions de commerce, certains justiciables se trouvant dans les zones non couvertes par une connexion internet ou ne possédant pas un smartphone ou un ordinateur vont, par exemple, avoir du mal à recourir à la communication électronique des actes de procédure, à accéder à l’interface en ligne relative à l’information de leurs dossiers ou à procéder au paiement de frais de justice en ligne. Ceci démontre que ce processus de numérisation risque de devenir un privilège créant ainsi des barrières entre les parties.

Il sied de relever néanmoins que l’implémentation du système de gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires ne supprime pas la procédure traditionnelle devant les juridictions de commerce.

Conclusion

La mise en place du système intégré de gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires est une avancée majeure pour la modernisation du système judiciaire congolais déjà entamée depuis peu. Toutefois, sa réussite dépendra de sa mise en œuvre effective, nécessitant des ressources financières, des formations et une évaluation continue via la CPSE. Cette réforme pourrait servir de modèle pour d’autres branches judiciaires, à condition d’être accompagnée d’une politique globale d’inclusion numérique.


[1] Lire à ce sujet B. Kandolo, « Transformation numérique du système judiciaire congolais », News-Juritech, n°01, in Droit-numerique.cd, 12 septembre 2024, disponible sur : [https://droitnumerique.cd/transformation-numerique-du-systeme-judiciaire-congolais/].

[2] L’informatisation et la numérisation de la procédure figure parmi les innovations majeures de la loi ° 23/061 du 10 décembre 2023. Ladite loi dématérialise les procédures telles que la soumission de la requête par voie électronique, la signification de l’exploit et prévoit la mise en place d’un service numérique au sein des tribunaux de commerce afin notamment de veiller à la gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires et de toute communication.  

[3] Article 1er, Décret n° 25/12 du 24 mars 2025 portant mise en place d’une gestion informatisée et numérisée des procédures judiciaires au profit des juridictions de commerce.

[4] Articles 38 à 46, Ordonnance-loi n°23/010 du 13 mars 2023 portant code du numérique, JO RDC, numéro spécial, 64e année, 11 avril 2023.

[5] Article 2 point 4, Décret n° 25/12 du 24 mars 2025, préc.

[6] Article 4, Décret n° 25/12 du 24 mars 2025, préc.

[7] Article 5, Décret n° 25/12 du 24 mars 2025, préc.

[8] Ibid.

[9] Il importe ici de souligner le rôle prépondérant de l’Institut National de Formation Judiciaire, en sigle « INAFORJ », dans la politique de conduite du changement à élaborer dans le cadre de la mise en œuvre de cette gestion informatique et numérisée.   L’institut a, en effet, la mission d’assurer la formation initiale et continue du personnel judiciaire en vue notamment de soutenir l’adoption de méthodes avancées d’apprentissage et d’innovation technologique. Aussi, convient-il d’attribuer la compétence de support informatique des utilisateurs au service numérique qui doit être institué au sein des Tribunaux de commerce conformément à l’article 41 ter de la loi n° 23/061 préc.  

[10] P. MAZET, « Les conditionnalités implicites de l’accès aux droits à l’ère du numérique », in Accès aux droits sociaux et lutte contre le non recours dans un contexte de dématérialisation, Rapport d’accompagnement scientifique du projet #LABAcces. Ti Lab, Askoria- Centre de recherche, mars 2019, pp.43-46.

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